Dans cet article :
- Pourquoi l’interoception (reconexion corporelle) est la clé d’une meilleure gestion du stress, de l’anxiété et des émotions
- Comment reconnaître une déconnexion corporelle et la réparer en douceur
- Les pratiques efficaces pour cultiver une relation apaisée à son corps, même quand on est hypersensible
Dans mon approche de la naturopathie, il n’est pas question de « sculpter » son corps pour qu’il corresponde à un idéal de beauté ou une perception biaisée de ce que l’on appelle un « corps en bonne santé ».
Ce que j’aime explorer, c’est la reconnexion avec le ressenti corporel : qu’est-ce qui se passe à l’intérieur de mon corps ? Que font mes muscles, est-ce que l’information nerveuse circule bien ? Est-ce que le sang pulse bien jusqu’au bout des doigts ? Où est-ce que j’ai chaud, ou froid ? Est-ce que j’ai plutôt faim ou soif ? Où se trouvent mes douleurs ? Où est-ce que je me sens bien ? Ce sont autant d’informations qui sont essentielles pour ajuster son hygiène de vie et préserver une grande vitalité.
Ce sens de perception des informations internes s’appelle l’interoception. Il est très apparenté à la kinesthésie (sens du toucher) et à la proprioception (sens de l’équilibre), à ceci près qu’il ne fournit pas des informations de contact avec l’extérieur, mais bien avec l’intérieur de notre être.
Comment fonctionne l’interoception ?
L’interoception désigne la capacité à percevoir les signaux en provenance de l’intérieur du corps : rythme cardiaque, respiration, tension musculaire, température, faim, soif, douleur, mais aussi les signaux plus subtils comme l’énergie vitale ou les tensions émotionnelles.
Les circuits neurobiologiques impliqués
L’insula, une région du cerveau située dans le cortex cérébral, joue un rôle central dans l’interoception. Elle reçoit les informations issues des organes internes et les intègre à notre conscience. Le nerf vague est un autre acteur clé : c’est l’un des principaux canaux de communication entre le cerveau et les organes viscéraux, notamment les intestins, le cœur et les poumons.
Des études en neurosciences ont montré que les personnes ayant une bonne perception interoceptive présentent une activité plus marquée dans leur insula antérieure (Craig, 2009).
Lien avec le système nerveux autonome
L’interoception est intimement liée au système nerveux autonome (SNA), qui régule les fonctions automatiques du corps (rythme cardiaque, digestion, respiration, etc.). Traditionnellement, on distingue deux branches dans ce système : le système sympathique, activé dans les situations de stress ou de fuite, et le parasympathique, mobilisé pour la détente, la récupération et les fonctions digestives.
Mais la théorie polyvagale, développée récemment par le neuroscientifique Stephen Porges, propose une lecture plus fine du parasympathique, en mettant en évidence deux voies distinctes du nerf vague. (Porges, S. W., 2017) :
- Le vague dorsal, ancestral et lié à l’immobilisation défensive (figement, dissociation)
- Le vague ventral, plus évolué, qui soutient la régulation émotionnelle, le lien social, et les états de sécurité physiologique
Ainsi, l’interoception est influencée par l’état du système nerveux autonome :
- Quand le vague ventral est actif, on ressent un état de calme, de présence à soi, propice à la pleine conscience corporelle
- Quand le sympathique ou le vague dorsal dominent, le corps entre dans des états de survie où l’accès au ressenti est soit envahissant (hyperactivation), soit coupé (figement)
Apprendre à réguler le système nerveux, par des pratiques corporelles lentes et sécurisantes, favorise l’activation du circuit vagal ventral, ce qui facilite une interoception claire, apaisée et non menaçante.
L’importance des signaux faibles
Beaucoup de signaux interoceptifs sont pré-conscients : nous ne les percevons pas forcément de manière claire, mais ils influencent nos humeurs, nos prises de décision, notre niveau de vigilance. En cas de stress chronique ou de dissociation corporelle, ces signaux peuvent devenir flous, voire inaccessibles.
Pourquoi l’interoception est-elle fondamentale pour la gestion du stress, de l’anxiété et des émotions ?
Le corps, siège de l’émotion
L’émotion est un phénomène neurophysiologique avant d’être mental. Elle commence toujours par une activation corporelle : accélération du cœur, boule dans le ventre, tension dans la mâchoire… Quand l’interoception fonctionne bien, on peut repérer ces signaux, les nommer, les réguler.
Comme le décrit Antonio Damasio dans L’Erreur de Descartes, la conscience de soi passe par la conscience du corps : « le sentiment d’être soi naît de la perception des états du corps dans ses interactions avec l’environnement » (Damasio, 1995).
Lien avec les troubles émotionnels et somatiques
Un déficit d’interoception a été observé dans de nombreux troubles :
- Anxiété généralisée : les signaux corporels sont mal interprétés, ce qui entretient la peur d’une menace invisible.
- Troubles alimentaires : la personne a du mal à différencier faim, satiété, stress ou vide émotionnel.
- Burnout : le corps crie (fatigue extrême, douleurs, tension), mais la conscience de soi est brouillée.
- Dissociation : en cas de stress post-traumatique, certaines personnes se coupent complètement de leurs sensations internes.
La reconnexion corporelle permet une meilleure régulation
Quand on améliore son interoception, on devient plus apte à faire des pauses, à s’écouter, à prendre des décisions ajustées. Cela permet aussi de déjouer le mental, souvent envahissant chez les personnes hypersensibles ou perfectionnistes.
Quels signes montrent une interoception perturbée ?
Voici quelques indices révélateurs d’un décalage entre l’esprit et le corps :
- Difficulté à reconnaître la faim ou la satiété
- Impression d’être « à côté de ses pompes », comme dissocié.e
- Sensations corporelles floues ou désagréables sans cause apparente
- Hypersensibilité ou désensibilisation : trop sentir ou ne plus rien sentir
- Douleurs inexpliquées, fatigue chronique, dérégulations hormonales
- Sautes d’humeur ou crises d’angoisse « sans raison apparente »
Ces signes sont fréquents chez les personnes souffrant de surcharge mentale, d’hypervigilance ou de stress chronique. Ils témoignent d’un système nerveux en alerte permanente, qui ne laisse plus place à l’écoute fine du corps.
Peut-on améliorer son interoception ? (Bonne nouvelle : oui !)
Oui, grâce à la neuroplasticité, notre cerveau peut apprendre à percevoir à nouveau les signaux du corps. Voici des pratiques accessibles et puissantes pour développer cette écoute intérieure.
Pratiques que je recommande :
- Body scan : un scan corporel guidé est un type de méditation issue de la sophrologie qui permet de repérer les zones de tension ou de vide, sans jugement.
- Méditation de pleine conscience : en revenant au souffle ou à une sensation, on ancre l’attention dans le corps.
- Respiration consciente : cohérence cardiaque, respiration abdominale… des outils simples pour calmer le système nerveux.
- Yin Yoga / Qi Gong / Taï Chi / Aikitaiso : ces approches douces mobilisent le corps sans l’agresser et restaurent la proprioception. Ce sont des formes de méditation en mouvement.
- Bains sensoriels : toucher, température, sons, odeurs – utiliser les sens pour retrouver une présence à soi.
- Journal somatique : noter ses ressentis corporels chaque jour permet de mieux les repérer et les relier à son état émotionnel.
- Toucher conscient : massage, automassage ou soin énergétique, pratiqués avec lenteur et attention. Au cabinet, j’utilise la réflexologie pour vous guider sur ces perceptions internes.
Ces pratiques doivent être introduites progressivement, surtout pour les personnes hypersensibles ou anxieuses.
Interoception et hypersensibilité : quelle relation ?
Une hyper-interoception parfois envahissante
Les personnes hypersensibles perçoivent souvent davantage les signaux internes : chaque battement du cœur, chaque tension, chaque pic émotionnel. Ce flux d’informations peut vite devenir surchargé, voire anxiogène.
L’équilibre entre ancrage et saturation
L’objectif n’est pas de « tout sentir », mais de filtrer, réguler, accueillir. Cela suppose un apprentissage : comment rester dans son corps sans être débordé ? Comment revenir à une sensation apaisante quand l’émotion monte ?
Certaines personnes ont besoin d’amortir les stimuli (par le mouvement, la nature, le silence), d’autres ont besoin de réapprendre à se faire confiance face à leur ressenti. Parfois même, il faut apaiser certains ressentis pour mieux en perçevoir d’autres. Chaque cas est unique !
Cultiver un lien ajusté avec son corps
Travailler l’interoception chez une personne hypersensible, c’est l’aider à se reconnecter à son corps avec douceur, sans jugement, en redonnant du sens à ce qui se passe à l’intérieur.
Gardez bien en conscience que cette approche doit rester dans la bienveillance et la douceur. Il n’est pas question ici de « se forcer » à faire quelque chose qui vous insécurise. Le maître mot est la collaboration avec son corps, et non la domination (qui est souvent prônée).
Se respecter et faire de meilleurs choix grâce à son corps
La reconnexion corporelle n’est pas un luxe. C’est une nécessité, surtout dans une société qui valorise le mental, la performance, la rapidité.
Écouter son corps, c’est apprendre à :
- poser ses limites avant d’exploser,
- répondre à ses vrais besoins sans se perdre dans le faire,
- ressentir la vie, pas seulement la penser.
Ce chemin demande de la patience, de la curiosité, et parfois un accompagnement bienveillant. Mais il est transformateur : il permet de sortir de la dissociation, de restaurer la confiance en soi et de faire de son corps un allié, plutôt qu’un obstacle ou une source d’angoisse.
Si vous souhaitez échanger sur votre situation par rapport à ce sujet, n’hésitez pas à me contacter.
Prenez soin de vous.
Ambre V.
Ouvrages de références pour cet article :
- Damasio, A. (1995). L’Erreur de Descartes. La raison des émotions. Éditions Odile Jacob.
- Craig, A. D. (2009). How do you feel — now? The anterior insula and human awareness. Nature Reviews Neuroscience, 10, 59–70.
- Mehling, W. E. et al. (2012). The Multidimensional Assessment of Interoceptive Awareness (MAIA). PLOS ONE.
- Schmitz, A. et al. (2021). Interoceptive accuracy and emotion regulation: A meta-analysis. Biological Psychology, 162.
- Porges, S. W. (2017). La théorie polyvagale : Neurophysiologie de la sécurité. Éditions Sully.