Tilleul - tilia platyphyllos

C’est en me promenant à la Fête des Simples de Rosans en septembre dernier que j’ai redécouvert le Tilleul des Baronnies (Tilia platyphyllos).

Tout le monde connaît le tilleul, cette douce infusion du soir que l’on prend pour essayer de mieux dormir. Mais saviez-vous qu’il est produit en France ? Qu’il est encore ramassé à la main ? Qu’il n’a réellement colonisé nos tasses et théières qu’au début du XXème siècle ? 

Aujourd’hui je vous emmène dans les Baronnies provençales, à la découverte de ce bel arbre. 

Tilia platyphyllos, une espèce sauvage ou domestiquée ?

Le tilleul à grandes feuilles se trouve naturellement dans les combes et les vallons des Baronnies.

Jusqu’au XIXème siècle, il était ramassé pour un usage domestique, pour ombrager les de ferme, les cabanons ou les bouts de terrain. Comme pour la lavande, le tilleul n’était pas une culture à proprement parler, mais plutôt une activité familiale. 

Sa culture s’est organisée à partir d’observations de terrain, affinée de générations en générations. S’il était évident que des caractères comme le parfum sont exacerbés en altitude, les greffons de tilleul ont permis petit à petit de développer certaines qualités:

  • précocité;
  • floraison abondante et parfumée;
  • longues bractées (c’est la petite feuille rattachée aux fleurs);
  • fleurs regourpées pour faciliter la cueillette (2 à 5 fleurs par bractées);
  • résistance des branches sous le poids des échelles;
  • et une huile essentielle de plus en plus riche…

Au cours du dernier quart du XIXème siècle, plusieurs révolutions agricoles ont lieu dans les Baronnies : le phylloxéra détruit les vignes, la culture de la garance est abandonnée et la soie décline. Le Tilleul devient alors un revenu de substitution. A partir de 1920, il sera planté en abondance dans les fermes, et le long des routes. De 1908 à 1939, la récolte passe de 4 000 kg à 193 000 kg. Elle est acheminée à l’extérieur via la gare de Carpentras, qui donnera à tors son nom au « tilleul de Carpentras ». 

Un véritable compagnon de route

Grâce à leur port étalé en forme de boule et leurs larges feuilles, les arbres de tilleul ont accompagné l’extension de tout le réseau routier.

Afin de ne rien en perdre, les municipalités ont mis en place la vente par adjudication du ramassage des arbres public. En d’autres termes, elles vendaient aux enchères l’exploitation des arbres situés en bords de route. Les cueilleurs itinérants ou les paysans recevaient alors l’autorisation d’exploiter 100 ou 200 mètres de linéaire de route. L’argent récolté de ces ventes aux enchères permettait aux communes de financer l’entretient de la voirie.

Le saviez-vous ?

Durant la seconde guerre mondiale, la France a fait face à une grande pénurie des denrées coloniales comme le thé ou le cacao. N’ayant plus rien à infuser, les français se sont mis à boire des tisanes de tilleul. La production des Baronnies explose et passe en moyenne à 300 000 kg/an. Le maximum de production est atteint en 1938, avec 400 000 kg ! Le tilleul des Baronnies fourni alors 90% de la consommation Française. 

En 1940, pendant la famine française, la farine vient à manquer. Les feuilles du tilleul sont alors desséchées, écrasées et tamisées. Cette « farine verte » fut incorporée à la de la farine d’orge ou de sarrasin et elle fut utilisée dans l’alimentation. 300g de feuilles fournissaient 80 à 100 g de farine.  

Le savoir faire d’autrefois toujours bien vivant

Faire pousser sans efforts…

Les graines de tilleul sont des fainéantes ! Elles sont longues à germer. Du coup, la culture s’effectue généralement à partir de greffes et de boutures. Par la suite, l’arbre est autonome et demande peu d’entretien, excepté la taille pratiquée au moment de la cueillette.

Les baronnies offrent un climat particulièrement privilégié : ensoleillement exceptionnel (2 500 à 2 700 heures en moyenne /an), vallées protégées des ventes et des grands gels, altitude qui préserve des grosses chaleurs … Les arbres poussant dans cette région ont un arôme particulièrement développé. Plusieurs clones de Tilia platyphyllos existent, mais le plus répandu est le Bénivay. 

Dans cet écrin, le petit greffon de tilleul fournira ses premières fleurs au bout de 6 ans. A 20 ans, l’âge de la maturité, il donnera en moyenne 120 kg de fleurs fraîches (soit 30 kg de fleurs sèches). Il continuera de grandir jusqu’à l’âge de 100 à 150 ans, puis de vieillir durant plusieurs siècles… Le tilleul de la Chapelle-en-Vercors a par exemple été planté en 1597!

Et ramasser à la main !

La récolte s’effectue de Juin à début Juillet selon les variétés. Il faut que la fleur soit bien ouverte et odorante. Elle ne doit surtout pas passer au stade de la fructification (petite boule). Pour la récolte, il faut faire vite car les fleurs ne restent épanouies que 3 à 5 jours. 

Pour grimper dans l’arbre, les cueilleurs montent sur des échelles avec un petit sac en jute cerclé qu’ils appellent la « saquette ».

La taille a lieu au même moment que la cueillette. Elle limite la hauteur de l’arbre et aère sa ramure, lui donnant son air de boule d’arbre toilettée. Les branches élaguées sont mises à terres. Les enfants ou les plus anciens récupèrent les bractées fleuries et les jettent sur les « bourras », de grandes pièces de toiles (2×2 m) avec des attaches aux quatre coins.

Un bon cueilleur cueille 30 à 40 kg de fleurs fraîches par jour, soit 10 kg de fleurs sèches. 

Les fleurs sont ensuite étalées sur des claies en couches minces (20 cm maximum) et sont retournées plusieurs fois jusqu’à ce qu’elles soient bien sèches et craquantes. 

Elles sont alors prêtes pour la consommation !

Le tilleul et ses propriétés apaisantes et sédatives

En phytothérapie, on utilise les fleurs, l’écorce, les jeunes feuilles et les bourgeons. 

Les fleurs de tilleul sont principalement antispasmodiques, sédatives et hypnotiques légères. Elles sont également diaphorétiques;

L’utilisation la plus commune est celle des fleurs en infusion : 1 pincée par tasse d’eau presque bouillante (ce qui équivaut à 15 à 30g /L). On laisse infuser 10 minutes. C’est un remède très simple et à la porté de tout le monde !

Vous pouvez aussi les associer en infusion à des feuilles d’oranger. La tisane aura alors une action un peu plus large pour accompagner les affections nerveuses comme le stress, mais aussi pour apaiser l’asthme, les toux spasmodiques, les migraines et les vomissements nerveux. 

L’hydrolat de tilleul est plus concentré que la tisane. Il offre un liquide chargé avec un arôme pénétrant, énergique, à utiliser comme antispasmodique dans les affections nerveuses. 

Les bourgeons de feuilles naissantes, et les feuilles naissantes (à ne pas confondre avec les bractées) peuvent avoir les mêmes propriétés. 

Une macération aqueuse de fleurs et d’écorce était utilisée par le Dr François-Joseph Cazin pour lutter contre les diarrhées et les gastro-entérites chroniques. Ce dernier précise dans son Traité que « Les paysans le mettent souvent en usage contre les inflammations externes, les plaies enflammées et douloureuses , les brûlures; ils font une décoction d’écorce de tilleul, et s’en servent, dans ces différents cas, en fomentations, en lotions, injections, etc. » 

Enfin, la dernière utilisation est … un bain de fleurs ! Les bains parfumés ont été proposés par J.-F Cazin dans le cas de névroses, en particulier l’hystérie avec spasmes généraux, sensation de strangulation… Le Dr Jean Valnet recommande cette thérapie dans le cas de convulsions infantiles et de fatigue nerveuses. 

Comme pour les pommades ou les onguents, dans un bain, les principes actifs sont susceptibles de passer la barrière trans cutanée. Un bain chaud (entre 35 et 38°) permet l’ouverture des pores par dilatation. Les principes actifs peuvent alors pénétrer dans l’organisme plus facilement. L’action sédative du tilleul sera renforcée par la chaleur de l’eau qui détend les muscles. 

Bref… n’attendez plus pour préparer votre bain ! 

Le tilleul aujourd’hui

Aujourd’hui, les foires locales ont presque toutes disparues et la fleur est de moins en moins ramassée à cause de sa faible valorisation commerciale. La concurrence internationale (notamment la Chine et l’Europe de l’Est) permettent aux entreprises d’acquérir du tilleul à des prix très faibles, mais sans garantie de qualité. 

En France, le tilleul des Baronnies représente encore 75% de la production nationale avec 1 tonne par an. Le Syndicat des Producteurs de Tilleul des Baronnies a été mis en place et il regroupe actuellement 40 adhérents. 

Parmi les différentes actions de relance de la filière, il pilote la mise en place d’un partenariat avec les ouvriers de la SCOPTI (Coopérative Ouvrière de Production de Thé et Infusions) de Gémenos (Bouches du Rhône). Il travaille également à la mise en place d’une IGP Tilleul des Baronnies. 

Pendant 196 ans, la foire au tilleul de Buis les Baronnies a été le premier marché mondial de vente du tilleul. Aujourd’hui, il a été remplacé par la fête « Aromatiques et Tilleul en Baronnies » qui présente un format plus moderne et adapté. 

Elle a lieu chaque troisième samedi de Juillet ! 

Des sources et références : 

La Phytothérapie, se soigner par les plantes, Dr Jean Valnet

Traité pratique et raisonnée de l'emplois des plantes médicinales indigènes. Texte / par J.-F. Cazin

Site du Parc Naturel Régional des Baronnies : www.baronnies-provencales.fr

Maison des Plantes de Buis les Baronnies (il faut aller sur place) : http://www.maisondesplantes.com

Site de l'office du tourisme de Montbrun les Bains : www.montbrunlesbainsofficedutourisme.fr/no133-le-tilleul-des-baronnies.html

Syndicat des producteurs de tilleul : www.tilleul-baronnies.com

La Phytothérapie, se soigner par les plantes, Dr Jean Valnet

Traité pratique et raisonnée de l'emplois des plantes médicinales indigènes. Texte / par J.-F. Cazin

Rencontres avec différents exploitants.
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